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Cet article du Monde
vous est envoyé par Francois-Marie Giacomoni

Le vieillissement de la France peut être une chance pour les centres-villes
LE MONDE | 17.12.04 | 14h51

Les urbanistes réfléchissent aux conséquences portées par le vieillissement de la population sur l'agencement des espaces urbains. C'est ainsi que, le 26 novembre, avait lieu à Paris un colloque intitulé "Architecture, urbanisme et vieillissement". Parallèlement, en octobre, le concours externe d'ingénieur territorial, le nom que l'on donne aux urbanistes travaillant pour les collectivités locales, demandait aux candidats de s'imaginer dans la position de "proposer des recommandations à des élus souhaitant favoriser les contacts entre les générations".

Que les urbanistes se soucient, parmi d'autres critères, de l'âge des usagers de la ville, ce n'est pas nouveau. Les professionnels se plaisent à décrire le phénomène du vieillissement progressif des banlieues pavillonnaires, qui amène les jeunes générations à chercher un domicile toujours plus loin du centre-ville. Désormais, avec l'arrivée à l'âge de la retraite des millions de baby-boomers, le phénomène prend une tout autre ampleur.

Déjà, la part des personnes âgées atteint, dans certaines régions du territoire français, une proportion conséquente. L'héliotropisme a amené de nombreux retraités dans le Midi et, plus récemment, sur l'ensemble des régions littorales. "Dans certaines villes de la Côte d'Azur, comme Saint-Raphaël ou Mandelieu, la proportion des personnes âgées provoque des conflits d'accès au logement avec les actifs", explique Julien Bertrand, urbaniste pour le cabinet Citadia, à Nice.

L'accélération des moyens de transport attire également sur les côtes des utilisateurs du TGV qui n'hésitent pas sur les distances pour passer l'hiver au soleil et rentrer dans leur région d'origine au printemps.

Où vivront les seniors du XXIe siècle ? Deux scénarios se dessinent. Le premier fait la part belle aux résidences "intégralement sécurisées" proposées depuis une vingtaine d'années par les promoteurs, en particulier dans le sud de la France. Comme à Sun City, dans l'Arizona, ou dans certaines régions du Royaume-Uni, les personnes âgées y vivent, à l'abri des contingences de la ville, dans de véritables parcs arborés comprenant gardien, piscine, terrain de tennis, commerces et salle de sport.

"On vit alors entre soi, dans un espace qui atteint la perfection, en conservant intacte l'image que l'on s'était faite de la Côte d'Azur avant d'y émigrer", analyse Julien Bertrand. Mais la formule "heureux derrière des barreaux" est mal perçue. Elle renvoie ses adeptes à leur égoïsme supposé et à leur refus de se mêler au reste de la société.

L'autre tendance observée est plus optimiste. Elle parie sur un retour des seniors en centre-ville. Selon ce scénario, les retraités, propriétaires de pavillons de banlieue depuis les années 1970 ou 1980, voudraient se rapprocher des services dont ils sont consommateurs.

ÉCHAPPER À L'ISOLEMENT

"C'est en ville que l'on trouve les établissements de soins, les médecins spécialistes, le personnel de maison, mais aussi les théâtres, les cinémas, les musées et le monde associatif auquel ils participent volontiers", explique Julien Bertrand.

Ces "néo-urbains" craignent avant tout l'isolement qui est souvent le lot de la génération qui les a précédés. Désormais sans enfants à charge, ils ont moins besoin de grandes propriétés que d'appartements plus modestes mais bien agencés. Or, c'est justement ce type d'appartements que l'on trouve dans les centres-villes, aussi bien parmi les logements anciens que parmi les résidences en cours de réalisation. Les seniors participent ainsi à l'embourgeoisement des centres, estime l'urbaniste niçois. Fiers d'être autonomes, et comptant le rester le plus longtemps possible, les "jeunes vieux" qui habitent en ville utilisent plus volontiers les transports en commun. Ils réservent l'usage de la voiture aux longs trajets. Dès lors, c'est l'ensemble des équipements urbains qui doit être repensé au regard du vieillissement.

Les commerces, en particulier, doivent se plier à cette évolution. Depuis une quinzaine d'années, les grandes et moyennes surfaces ont investi l'extérieur des centres, au point que, en France, les entrées de ville se ressemblent beaucoup. Mais les hypermarchés ne sont plus adaptés à la clientèle âgée, et tout particulièrement au quatrième âge.

Un cadre dirigeant d'un grand distributeur français le confirme : "Ces surfaces ne sont pas à taille humaine, on n'y accède qu'en voiture et elles n'offrent pas la convivialité dont ont besoin les personnes âgées." En outre, les seniors ne font pas partie du coeur de cible des hypermarchés, qui cherchent surtout à séduire les jeunes ménages, réputés plus grands consommateurs.

Depuis quelques années, les moyennes surfaces, en zone urbaine, ont pris le relais, proposant des services qui conviennent aux aînés. La livraison à domicile fait désormais partie de la panoplie obligée des magasins de centre-ville. Certains supermarchés proposent des animations : leurs responsables ont constaté que leurs clients âgés se rendaient plusieurs fois par semaine, voire plusieurs fois par jour, au supermarché, là où les jeunes ménages se contentent de "faire le plein" pour une semaine. Les seniors délaisseront-ils progressivement les hypermarchés situés aux abords des villes ? Les urbanistes le pensent, qui voient dans le vieillissement de la France une chance pour les centres-villes.

Olivier Razemon

. ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 18.12.04                                                    retour sommaire